Intelligence artificielle : le crédit assisté par ordinateur n’est pas le chaos

Intelligence artificielle : le crédit assisté par ordinateur n’est pas le chaos

Publié le 14/05/2019 dans généralites

Laurent Denis à www.endroit-avocat.fr

Avocat, auteur de :       

« Réussir un crédit immobilier », Ed. A. Franel, 2018.

« Courtiers en crédits et IOBSP : défenseurs d’intérêts », 2018

« Droit de la distribution bancaire », 2016 

 

Pour l’ENFPI, Maître Laurent Denis, Avocat, fait le point en matière de progrès technologiques dans l’activité de crédit. Un domaine en pleine révolution, avec l’intelligence augmentée, également appelée « intelligence artificielle ». Quand le crédit, le numérique et le Droit forment un tiercé prometteur.

Lorsque le philosophe et scientifique Blaise Pascal (1623-1662) assemble les rouages de sa machine à calculer, il ne devine pas dans quels engrenages il glisse les doigts de l’Humanité future. L’intelligence artificielle, ou « IA » se devine plus facilement qu’elle ne se définit. Disons qu’elle se matérialise lorsque des machines simulent l’intelligence. Mais…qu’est-ce que l’intelligence ? Comprendre, apprendre, progresser en s’adaptant à des situations nouvelles : sans doute. L’intelligence artificielle se voit sous la forme de compétences dites cognitives. Quand l’automate voit, entend, discute, écoute, alors se comporte « comme » un être humain, et l’IA est là.

La digitalisation du crédit se matérialise sous la forme d’un résultat assez simple : la demande de l’emprunteur est répondue presque instantanément et, en cas d’accord de crédit, les fonds lui arrivent très rapidement. Le crédit en quelques « clics », en quelque sorte. L’intelligence artificielle, exécutant les tâches d’octroi de crédit à toute vitesse, supprime les délais nécessaires aux traitements et aux décisions humaines.

 

Le crédit, hors de ses multiples définitions juridiques (celle du Code civil, celle du Code monétaire et financier, celle du Code de la consommation), comporte à la fois un volet fortement administratif et commercial, et une dimension spécifique : celle du risque. Les deux aspects font l’objet de normes juridiques.

L’activité bancaire, qui nécessite des producteurs de crédits, souvent appelés « banques » fut l’une des premières à bénéficier des bienfaits de l’informatique. D’une part, la haute dose de tâches répétitives du processus de crédit se prête (…) bien à la mécanisation ; elle se laisse volontiers capturer dans des programmes informatiques. D’autre part, l’analyse du risque passe par un abondant maniement de données, qu’il faut soit collecter soit chasser, puis triturer pour poser une décision binaire : l’acceptation ou le refus du crédit. Le fameux et bien connu « scoring » des données fera sans doute un jour figure d’ancêtre de l’intelligence artificielle en crédit.

 

Mais l’intelligence artificielle ne se consacre donc pas qu’au seul processus de décision. Elle assume une part grandissante du circuit administratif, y compris dans la distribution du crédit. Son potentiel y est immense : le robot possède une vitesse d’exécution des tâches extrêmement rapide, pratiquement instantanée. Le candidat à l’emprunt doit communiquer des données et déposer des documents, dits « justificatifs ». Ces données sont déjà disponibles, ou peuvent être collectées et vérifiées très vite. La digitalisation des données écrase les temps de recherche des données et de traitement des tâches.

L’intelligence artificielle se répand et progresse au moment où se produit un autre phénomène profond : la séparation tranchée entre les activités de commercialisation des crédits et celles de gestion des risques de crédit. C’est ainsi que des Distributeurs indépendants, les Intermédiaires bancaires, les IOBSP, connus sous la forme de Courtiers ou de Mandataires en crédit deviennent, progressivement, les principaux vendeurs de crédits. Cette évolution marquante est irréversible. D’un côté, les producteurs de crédits : les banques ; de l’autre, les Distributeurs de crédits : les Intermédiaires.

Les banques françaises, qui produisent beaucoup de discours sur l’intelligence artificielle, se montrent bien peu innovantes dans ce domaine. Les Intermédiaires bancaires abordent très activement les potentiels de l’intelligence artificielle, avec des services déjà concrets.

 

Quel sera le Droit du crédit digitalisé ? Les algorithmes, les logiciels qui expriment les effets de l’intelligence artificielle, vont entraîner des adaptations ou des évolutions juridiques. D’abord, dans le domaine de la protection des données personnelles, récemment réformé en profondeur. Surtout, dans celui du droit des contrats. Le mariage du Droit et du crédit, unis par l’intelligence artificielle, est déjà disponible sous la forme de la signature électronique. Il se traduira également par la délivrance méthodique des obligations précontractuelles, notamment l’obligation de mise en garde en crédit et l’obligation de conseil en crédit. Alors que l’obligation (ou devoir) de conseil n’est toujours pas exigée des établissements de crédit prêteurs, la digitalisation du crédit pourrait enfin aboutir à exiger des banques qu’elles délivrent aussi le conseil en crédit, disposant de toutes les données à cette fin.

 

Il est en revanche peu probable que le contentieux du crédit connaisse des progrès massifs.

La Justice, ou plutôt, la sphère de la décision judiciaire, pourrait tirer un immense parti de l’intelligence artificielle ; hélas, elle n’en prend pas le chemin. Accès enfin aisé au tribunal, réponses aux litiges plus qualitatives et surtout plus rapides, réduction des coûts judiciaires…autant de sujets bien mal engagés. Le tribunal restera lointain, lent, coûteux et imprécis. Il y a fort à parier que des processus judiciaires délabrés et inefficients, aux évolutions méthodiquement bloquées, coexisteront avec un marché du crédit profondément transformé par les initiatives et par les pratiques des Entreprises privées en matière d’intelligence artificielle.

L’un des enjeux primordiaux du crédit digitalisé réside dans la nécessité de marier les intelligences artificielles des producteurs (les banques) et des Distributeurs (les Intermédiaires bancaires).

L’intelligence artificielle s’intéresse activement au crédit, marché de masse aux processus aisés à modéliser. Les emprunteurs vont se trouver de plus en plus confrontés à des robots. La digitalisation du crédit se traduit par des gains immenses de temps de traitement et de décision, les données étant aisément disponibles. Quand l’intelligence se manifeste sous la forme rapidité de traitement, son sens est clairement palpable. Les Intermédiaires bancaires, Courtiers et Mandataires en crédit, développent déjà des outils d’intelligence artificielle en crédit.